Redoubler, un facteur de harcèlement ?
Le redoublement et harcèlement scolaire, longtemps ignorés comme problématique commune, sont aujourd’hui au cœur des critiques pour leurs effets négatifs sur la trajectoire scolaire et psychologique des élèves. Une étude publiée en novembre 2021 dans PLOS Medicine (Xiayun et al., 2021) relance ce débat en mettant en lumière un lien préoccupant : les élèves redoublants seraient environ 1,5 fois plus exposés au harcèlement scolaire que leurs pairs.
Cette étude, s’appuyant sur les données de l’enquête PISA, permet pour la première fois une analyse à large échelle de la corrélation entre parcours scolaire non linéaire et exposition aux violences entre pairs.

Méthodologie et résultats clés de l’étude PISA
L’équipe de Xiayun Zuo, spécialiste en biostatistique à l’université de Fudan (Chine), a analysé les réponses de 465 146 adolescents âgés de 15 à 16 ans, répartis dans 74 pays. Parmi eux :
- 12,25 % avaient redoublé au moins une fois ;
- 30,32 % déclaraient avoir été victimes de harcèlement scolaire au cours de l’année écoulée ;
- Les redoublants présentaient un risque accru de 50 % d’être harcelés.
Bien que l’étude ne puisse établir une relation causale directe, la surreprésentation des redoublants dans les cas de harcèlement est statistiquement robuste, et pose la question de l’exposition accrue à la stigmatisation et à la marginalisation sociale.
Redoublement et harcèlement scolaire : un phénomène multifactoriel aggravé
Le harcèlement scolaire est un phénomène complexe impliquant des dynamiques de pouvoir, de norme et de conformité. Le redoublement, en créant un écart d’âge et souvent une distinction visible entre pairs, renforce la vulnérabilité des élèves concernés. Ces derniers peuvent être perçus comme « inférieurs » ou « en décalage », devenant ainsi des cibles plus faciles pour les agresseurs.
Typologies de violences les plus fréquentes chez les redoublants :
- Moqueries et sarcasmes,
- Bousculades physiques,
- Vols ou dégradations de biens,
- Menaces verbales.
Un risque plus élevé pour les filles redoublantes : une intersection genre/échec scolaire
L’étude note que les filles redoublantes sont particulièrement exposées à certaines formes de harcèlement. Cette donnée s’inscrit dans un contexte plus large où les violences de genre à l’école – souvent plus psychologiques ou relationnelles que physiques – restent largement sous-estimées.
La vulnérabilité des filles redoublantes peut s’expliquer par :
- Une double stigmatisation (genre + échec scolaire),
- Une exposition accrue aux normes de performance,
- Une moindre propension à signaler les violences subies.
Implications éducatives et politiques publiques
Les données issues de cette étude interrogent les fondements mêmes du redoublement comme mesure pédagogique. Plutôt que de permettre une seconde chance, cette pratique semble dans certains cas renforcer l’exclusion sociale, le mal-être et les violences entre pairs.
Recommandations :
- Renforcer les dispositifs de soutien individualisé pour les redoublants ;
- Mettre en œuvre des campagnes de sensibilisation ciblées dans les collèges et lycées ;
- Former les personnels éducatifs à détecter les signaux faibles de harcèlement, notamment chez les élèves au parcours atypique ;
- Développer des alternatives pédagogiques au redoublement : tutorat, classes relais, dispositifs personnalisés.
Limites de l’étude et pistes pour la recherche
L’étude de Xiayun et al. est observationnelle et ne permet pas d’établir une relation causale. Il serait pertinent d’approfondir ces résultats par des recherches longitudinales, intégrant des données qualitatives (entretiens avec élèves, enseignants, psychologues scolaires). En outre, la notion même de redoublement varie selon les pays, ce qui pourrait influer sur les résultats.
Conclusion
Le redoublement, loin d’être une simple mesure administrative, est un événement biographique à fort potentiel de marginalisation. En l’absence de politiques de prévention ciblées, il peut renforcer le risque de harcèlement scolaire, notamment chez les filles. À l’heure où l’école se veut inclusive et bienveillante, il est urgent de repenser les réponses apportées aux difficultés scolaires, en plaçant la sécurité psychologique des élèves au centre des priorités éducatives.
Références
- Xiayun, Z. et al. (2021). Grade repetition and school bullying victimization in 74 countries: A global perspective. PLOS Medicine, 18(11).
- OCDE (2019). Résultats de PISA 2018 : Ce que les élèves savent et peuvent faire.
- Debarbieux, É. Lutter contre le harcèlement à l’école. Rapport au ministère de l’Éducation nationale.